Le 12 octobre 2018 se tenait un colloque organisé par la sénatrice de Paris Esther Benbassa, en collaboration avec David Belliard et Notre Affaire à Tous, représentée par Marie Toussaint, et intitulé « Changement climatique : quelles conséquences sanitaires ? ». Rassemblant de nombreux spécialistes du sujet (médecins, épidémiologistes, chercheur-ses…), ce colloque a permis de dresser l’état de la connaissance sur le sujet, notamment en recensant les divers impacts du changement climatique sur la santé humaine : sur les maladies infectieuses, les maladies respiratoires, sur la santé au travail… Les intervenant-es ont souligné l’importance de considéré le facteur sanitaire comme élément clé dans la lutte contre le changement climatique, et ont souvent mis en avant les liens existant entre environnement, facteurs sociaux et inégalités de santé.
Suite à ce colloque, Notre Affaire à Tous revient sur cette question : quelles sont les conséquences sanitaires du changement climatique ? Et développe ce que la réponse à cette question implique en terme de justice climatique et de politique d’adaptation.
Atténuer : une question de santé.
Que le changement climatique affecte notre santé n’est plus à démontrer : le « Compte à rebours santé et changement climatique » du Lancet, auquel participent plusieurs institutions publiques comme l’OMS, l’OMM ou la Banque mondiale, est à cet égard éloquente, et effrayante.
Les impacts sont divers :
- stress thermique et hydrique ;
- prévalence de maladies respiratoires en raison de la dégradation de la qualité de l’air et propagation de maladies infectieuses ;
- perturbation de la production alimentaire et de l’approvisionnement en eau potable…
- Entre 2030 et 2050, on prévoit que le changement climatique entraînera environ 300.000 décès supplémentaires par an ; avec des frais de santé notables : les estimations varient, mais nous retiendrons ici le chiffre de 2 à 4 milliards de dollars par an d’ici 2030.
- En 2017, The Lancet appelait, après 25 ans d’inaction, à une transformation globale en faveur de la santé publique. Pour ne citer que quelques chiffres : au vu de leurs zones d’installation, les populations humaines subissent un réchauffement bien plus élevé (0,9°C entre 2000 et 2016) que la hausse de la température moyenne mondiale (0,4°C sur la même période). En moyenne, 125 millions d’adultes supplémentaires ont été touchés par des vagues de chaleur depuis 2000. Ce nombre atteint 175 millions de personnes en 2015.
- Le réchauffement du climat a par ailleurs élargi le champ d’action du moustique porteur de la dengue, augmentant son aptitude à transmettre la maladie de 9,4 % depuis 1950, tandis que le nombre de malades était presque multiplié par deux tous les dix ans.
- la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes a augmenté de 46% entre 2007 et 2016 (en comparaison avec la période 1990-1999) Compte tenu de sa population et de sa superficie, l’Asie est le continent le plus touché par les catastrophes météorologiques : 2 843 événements ont été enregistrés entre 1990 et 2016, affectant 4,8 milliards de personnes et faisant 505 013 morts.
Et pour rappel, l’augmentation de la température pendant ces 130 dernières années a été d’environ 0,85°C dans le monde, tandis qu’au cours de ces 25 dernières années, elle s’élève à 0,18°C par décennie.
Rappelons que dans son ouvrage Changement climatique : une menace pour la démocratie, le journaliste Valéry Laramée de Tannenberg soulignait également l’explosion des violences inter-étatiques et inter-personnelles lors de catastrophes climatiques, comme d’ailleurs lors d’épisodes climatiques de l’ordre des canicules. A la violence naturelle due au réchauffement s’ajoutent ainsi les violences humaines.
- La sous-nutrition explose, la Banque mondiale s’attend à 100 millions de pauvres en plus du fait du réchauffement d’ici 2030, et le rapport du Lancet annonce une baisse de 6% des rendements mondiaux de blé et une chute de 10% des rendements de riz pour chaque hausse de 1°C de la température mondiale.
- Premières victimes du dérèglement climatique : les travailleurs ruraux, qui ne bénéficient pas d’un lieu de travail abrité, et dont la productivité a baissé de 5,3% depuis 2000, par rapport à la période 1986-2008, note le rapport. En 2016, pas moins de 920 000 personnes ont été exclues du marché du travail dans ce secteur, dont 418 000 rien qu’en Inde.
En conclusion, et c’est aussi ce qu’ont souligné ou-tes les intervenant-es du colloque du 12 octobre : le changement climatique affecte la santé et en ce sens doit être pris en compte et combattu pour pallier aux effets néfastes du réchauffement.
Mise en danger du droit à la vie des citoyen-nes.
Le dernier rapport du GIEC, publié en octobre, a démontré que, quand il est question de réchauffement de la planète, chaque demi degré compte, et aura des conséquences terribles sur l’environnement, et nos conditions de vie.
- pluviométrie accrue dans l’hémisphère nord : +100% avec 1,5°C, +170% avec 2°C ;
- la sécheresse pourrait toucher 60 millions de personnes en plus dans le monde chaque 0,5…
On sait aussi qu’il existe des boucles de rétroaction qui viennent s’ajouter les unes aux autres, entre dégradations environnementales, changement climatique, pertes de biodiversité… et impacts sanitaires également. C’est ce que les intervenant-es du colloque du 8 septembre ont longuement souligné.
La conclusion est alors évidente : atténuer est aussi une question de santé ! C’est également une des conclusions de la décision de la cour d’appel de La Haye, début octobre : l’Etat néérlendais avait été attaqué par l’organisation Urgenda, et a été condamné à réduire ses émissions de CO2 de 25% d’ici à la fin de 2020 par rapport à ses émissions de 1990. Selon le juge :
“L’intérêt protégé par l’article 2 CEDH est le droit à la vie; cela inclut les situations liées à l’environnement qui affectent ou menacent d’affecter le droit à la vie. L’article 8 de la CEDH protège le droit à la vie privée, à la vie de famille, au domicile et à la correspondance. L’article 8 de la CEDH peut également s’appliquer dans des situations liées à l’environnement. Ce dernier point est pertinent si (1) un acte ou une omission a un effet négatif sur le domicile et / ou la vie privée d’un citoyen et (2) si cet effet négatif a atteint un certain niveau minimal de gravité.
La Cour poursuite : En vertu des articles 2 et 8 de la CEDH, le gouvernement a des obligations à la fois par action et omission concernant les intérêts protégés par ces articles: cela inclut l’obligation de prendre des mesures positives et concrètes pour prévenir une future violation de ces intérêts (en bref: un devoir de diligence ). Une atteinte future à un ou plusieurs de ces intérêts est présumée exister si l’intérêt concerné n’a pas encore été touché, mais risque d’être touché du fait d’un acte / activité ou d’un événement naturel. (…)
En bref, l’État a l’obligation positive de protéger la vie des citoyens relevant de sa compétence en vertu de l’article 2 CEDH, tandis que l’article 8 CEDH crée l’obligation de protéger le droit à la maison et à la vie privée. (…) ”
En résumé, la plus haute cour néerlandaise indique que, le réchauffement climatique mettant en péril la santé et le droit à la vie de ses concitoyen.ne.s, il existe une obligation positive d’action dans la lutte contre les changements climatiques. Les droits à la vie et à la santé sont donc reconnus comme des droits exigeant des pouvoirs publics et des personnes non publiques de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.
Demandant la même obligation d’action des pouvoirs européens, en 2018, 10 familles d’Europe, du Kenya et de Fiji ont poursuivi en justice le Parlement et le Conseil Européens pour avoir autorisé un un niveau trop élevé d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et d’ainsi ne pas avoir protégé les citoyen.ne.s du réchauffement climatique. Parmi les préjudices subis par ces familles, les plaignant.e.s kenyan.ne.s expliquent être particulièrement inquièt.e.s pour leur santé et celle de leurs enfants, avec des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes. Pendant ces périodes chaudes, les enfants souffrent d’éruptions cutanées sur la peau, de maux de tête fréquents et de troubles du sommeil.
Le réchauffement affecte les inégalités et les inégalités de santé
Le changement climatique se nourrit des inégalités. 10% des plus riches émettent 50% des émissions de GES, les 50% les plus pauvres, 10% d’entre elles, tandis que 100 entreprises seulement ont émis 70% des émissions depuis 1988.
Le changement climatique accroît également les inégalités en matière de santé, et d’accès au soin :
⁃femmes / hommes ;
⁃pauvres / riches ;
⁃et évidemment, entre les Etats, ou encore les territoires (avec par exemple en France, le cas des Outre-Mer qui sont affectés de manière disproportionnée par les impacts sanitaires du changement climatique).
Les enjeux de santé sont donc bel et bien une question de solidarité.
La question climat et santé pose donc la question, afin de protéger les droits à la vie et à la santé, de l’adaptation : de nos villes, de nos territoires, de nos infrastructures de santé, de l’accès à la médecine…
Demande d’adaptation…
… Des connaissances : et à ce titre, la reconnaissance de l’exposome dans la loi, qui sera abordée plus tard dans ce colloque, a permis de dégager des crédits bienvenus de recherche sur l’exposition des populations aux diverses pollutions, dont celles créées par le changement climatique
… Des territoires : îlots de verdure et de fraicheur, sources d’eau, mais aussi aménagement avec l’adaptation des bâtiments et de leurs systèmes énergétiques face aux canicules et vague de froid ou encore déserts médicaux. L’intervention d’Anne Souyris dans le cadre de ce colloque est donc bienvenue pour nous expliquer comment Paris, particulièrement active sur le sujet du climat, prend en main cet enjeu majeur.
… Des modes et conditions de travail :10 décès sur les lieux de travail attribuables à la chaleur ont été enregistrés au cours de l’été 2017 (rapport de l’ANSES sur les risques professionnels).
… Aussi évidemment des services médicaux et d’urgence : canicule et sécheresse, épidémies… On sait par exemple que les consultations dans les services d’urgences pour des maux liés à la canicule soient « relativement faibles, autour de 4% » (Buzin). Sur les 650 services d’urgence hospitaliers en France, 18 sont « en tension », donc « ce n’est pas massif », a affirmé la ministre. Mais ça pourrait le devenir…
… Enfin des outils de solidarité et de l’innovation sociale : Les mairies ont été invitées à tenir des registres communaux pour recenser les personnes isolées ; à identifier précisément les lieux réfrigérés qui pourraient être mis à la disposition des plus vulnérables telles que les personnes en situation de précarité ou sans domicile.
le recours à de nouveaux systèmes de protection sociale :
Dans divers cas liés à la santé environnementale, la difficulté d’établir une stricte liste des pollueurs, de répartir la charge de la culpabilité, ou encore le lien de causalité entre l’acte et le dommage subi, entravent à la fois la justice climatique et le déploiement de systèmes de protection sociale adaptés
Ces dernières années, les demandes de création de divers fonds d’indemnisation liés à la dégradation de l’environnement se sont faites entendre, suivant celle liée à l’amiante.
Tout comme les batailles ouvrières du XIXe siècle ont donné naissance à la responsabilité objective des employeurs dans le cadre d’accidents du travail puis à la création de la Sécurité sociale, il est possible que des batailles citoyennes émergent pour faire valoir le principe du pollueur-payeur et l’instauration d’un nouveau système de sécurité sociale qui tiendrait pleinement compte de la dégradation environnementale.
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Atténuation des émissions, adaptation au changement climatique, et adaptation de notre système de santé… Ces actions sont aujourd’hui nécessaires. Car pour conclure en reprenant les termes des organisateurs de ce colloque dans une tribune récemment publiée, en premier lieu Mme Esther Benbassa, mais aussi David Belliard, lutter pour le climat, n’est-ce-pas lutter pour la survie de notre espèce ?